L’écrivain, disparu le 13 juin, n’avait écrit qu’un seul film : une odyssée immobile, absurde et sombre, paumée dans le désert.
Comme beaucoup, vous adorez La Route, devenu l’une des références incontournables du post-apo actuel (sans La Route, pas de The Last of Us). Comme tout le monde, No Country For Old Men fait partie de votre liste de grands classiques américains du 21ème siècle. Deux films adaptés de romans de Cormac McCarthy. Et l’écrivain, disparu le 13 juin dernier à 89 ans, n’aura écrit qu’un seul long-métrage original (dans le sens de : qui n’est pas adapté d’un de ses romans) dans toute sa carrière : The Counselor, réalisé par Ridley Scott juste après Prometheus et sorti en France sous le titre de Cartel en 2013. Vendu comme un film de stars (Brad Pitt, Cameron Diaz, Penélope Cruz, Javier Bardem, Michael Fassbender -tous avec leur NOM DE FAMILLE en gros sur l’affiche), Cartel a été un flop en salles (aux USA comme en France) et un échec auprès de la critique : trop bavard, trop grotesque, imbitable, chiant et prétentieux. Déceptif, certainement. Voire même : un gros nanar.
De fait, c’est à première vue difficile à démentir : c’est un film censé nous plonger dans les intrigues tordues du trafic de drogue sur la frontière mexicaine, mais ce n’est pas un film de cartel comme on l’entend actuellement. Pas de silhouettes paramilitaires surarmées se découpant sur l’horizon, pas de parrain chicano sniffant des montagnes de coke. Impossible à résumer clairement, Cartel est composé de tunnels de dialogue entre bonshommes plus ou moins impuissants qui parlent de plaisir, de masculinité, de mythologie sur le limes qui sépare deux mondes artistiques : l’esthétique publicitaire séminale de Ridley Scott (un guépard et Cameron Diaz dans le désert, comme dans un spot Hennessy) versus le dialogue de McCarthy. Les deux mondes se clashent et le choc est sourdement terrifiant. Des mots, que des mots, mais comme le dit le Conseiller (Fassbender) au début du film, "les mots signifient tout pour un homme."
Marrant de voir ça chez Scott, cinéaste de l'image et des mythes qu'elles racontent, mais ça annonce Tout l'argent du monde et Alien Covenant, films racontant au fond que la mythologie repose sur du vent, des mots : même les exploits les plus épiques ne sont au fond que des mots, des paroles formulées, l'une des étymologies de "mythe" étant justement "parole" -c’est l’occasion de se souvenir que L’Odyssée est un texte ultra statique -Ulysse passe son temps à raconter ses exploits supposés à son public. Cartel fait donc des mots la matière même de sa violence et de ses excès.
Dans Cartel figure la scène fameuse où Cameron Diaz se tape une voiture, mais au fond c’est un fantasme de Bardem, de toutes ces stars de cinéma qui se prennent pour des héros antiques mais qui finiront comme de pathétiques cadavres paumés dans le désert. "Le cœur de chaque culture réside dans la nature de ses héros", affirme le Diamantaire (Bruno Ganz) dans une scène géniale où il se livre à un résumé de la culture humaine en quelques mots. Ça pourrait être bavard, grotesque et prétentieux, et c’est vertigineux. Alors non, Cartel n’est pas un film agréable, mais c’est certainement un grand film.
Disponible en DVD et Blu-ray, Cartel est également visible sur Disney+.
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