Karim Leklou dans Vincent doit mourir
Capricci

L’épatant premier film de Stéphan Castang mélange survival, thriller et comédie romantique. Le réalisateur et Karim Leklou nous racontent les coulisses de Vincent doit mourir.

Du jour au lendemain, Vincent (Karim Leklou) est agressé sans raison par des gens qui tentent de le tuer dès qu’ils croisent son regard. Pitch minimaliste et assez génial, qui va mener le personnage à se couper du monde, avant qu’il ne croise une serveuse (Vimala Pons) dont il va tomber raide dingue. Survie, amour, humour : Vincent doit mourir mélange les genres sans jamais se casser la gueule. Rencontre avec son réalisateur Stéphan Castang et l’acteur Karim Leklou.

Vincent doit mourir arrive à une période particulière où le cinéma de genre français bande les muscles avec les sorties récentes d’Acide, du Règne animal, et très prochainement de Mars Express. Est-ce qu’il est en train de se passer quelque chose, une sorte de prise de conscience que le film de genre peut réellement exister chez nous ?
Stephan Castang :
Difficile à dire, mais je constate effectivement qu’il y a depuis un moment une volonté du cinéma français de proposer d’autres choses. Et la cinéphilie des réalisateurs évolue, il y peut-être moins de hiérarchie qu’avant. Moins d’écart entre des films dits « nobles » et d’autres plus « séries Z ». Parallèlement, il existe une envie de rendre compte de notre époque en s’affranchissant de la chape de plomb du réalisme, très présente chez nous depuis… euh… un certain temps, dirons-nous ! (Rires.)

Karim Leklou : Je vais m’empresser de contredire mon camarade sur le réalisme (Rires.). Vincent doit mourir, c’est une histoire d’amour dans un monde violent - notre monde en fait - que Stéphan raconte sans intellectualiser le propos. Et il le fait en passant essentiellement par des corps qui se rencontrent - des corps en souffrance, aussi - et qui ne ressemblent pas à celui de Jason Statham. On peut transmettre énormément de choses à travers le cinéma de genre, et à mon sens cela peut donner des films beaucoup plus actuels que ceux qui se prétendent « réalistes », avec une vision sociale qui ne me parle pas, et des personnages qui évoluent dans des sphères que je ne connais pas. Il y a dans Vincent doit mourir une grande scène, très forte, qui se déroule dans une fosse septique où des gens essaient littéralement de survivre dans la merde. C’est pas réaliste, ça ? (Rires.)

SC : Tu as raison, le mot même de réalisme est piégeux. Disons qu’il s’agit dans mon cas d’une volonté de m’éloigner du cinéma d’intention. D’être davantage dans un cinéma de mouvement, où les corps bougent et où, fatalement, la puissance du cinéma peut agir. On ne traduit pas en images une littérature. Il s’agit d’essayer de construire des objets qui ne peuvent se raconter qu’à travers le cinéma.

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Cette volonté était déjà dans le scénario ?
SC
: En tout cas le script m'a suffisamment inspiré. Quand les producteurs m'ont proposé le film, je pensais le refuser parce ce que généralement, je filme ce que j'écris. Mais quand j'ai lu le scénario de Mathieu Naert, il y avait cette idée extrêmement forte de transmission par eye contact. Je trouvais ça super intelligent parce que c’est justement très concret. Il n'y a pas de psychologie là-dedans. Après, dans la réécriture avec Dominique Baumard on a beaucoup monté les potards, car au départ il n'y avait que le personnage de Vincent qui avait des problèmes. On a joué sur les déclinaisons possibles et ajouté de l'humour, ce qui pour moi est très important.

Vincent doit mourir est un film en mutation, ce qui à mon sens le sauve d’être résumable à son concept. 
KL
: Oui, j'aime beaucoup que le film dépasse la question du pourquoi, je trouve ça hyper stimulant. Ça renouvelle le code du scénario qui devrait apporter systématiquement des réponses au spectateur. 

SC : Je n’avais pas envie qu'on reste trop dans le concept car effectivement, le grand danger du film était là. Quand on a commencé à en parler avec Karim, ce qui comptait, c'était avant tout l'histoire d’amour.

Pourtant le personnage de Vimala Pons arrive assez tard dans l’histoire. Comment éviter que le film s’écroule à ce moment-là sous le poids du changement de ton ?
SC
: En vrai ? Je n’en sais rien (Rires.). En tout cas il ne fallait pas que le changement soit aussi net, il devait arriver au fur et à mesure, que les choses et les genres se superposent. Je crois que ce ton, il se trouve à la fois à l’écriture et pendant le tournage, avec toute l’équipe.

KL : Stéphan avait en plus mis en place des dispositifs hyper intéressants de mise en scène. Par exemple, j’avais discuté avec Vimala avant le tournage, mais on ne s’est jamais rencontrés avant la première prise. Une scène de cascade, qui n’avait justement rien à voir avec les thématiques amoureuses. Ça nous a permis de préserver la fraîcheur, d’avoir cet instant un peu privilégié sur le plateau. J'avais l'impression de jouer un personnage en souffrance physique alors qu’elle incarnait quelqu’un en souffrance sociale. Comme si deux films se rencontraient, mais qu’ils avaient toujours été là.

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Il y a des scènes entre les deux personnages quasiment de l’ordre du BDSM : ils doivent s’attacher pour éviter de s’agresser.
SC
: Gros danger, ça aussi. Je cherchais la tendresse dans ces séquences, parce que s’ils avait joué les athlètes charnels avec ces menottes, ça ne m'intéressait pas. 

KL : Et bonjour le truc à l’eau de rose…

SC : Le coït obligatoire qu'on voit très souvent au cinéma, on peut aisément s'en passer. Faire l'amour, ça passe par plein d'autres signes. Une fois le baiser accompli, le reste peut suivre et on n'a pas besoin de le voir. Je suis un grand grand admirateur de la littérature du Moyen Âge et jamais le coït n’est décrit : ils s'embrassent les yeux, le visage, et c’est fini. Et puis je voulais que dans Vincent doit mourir, les scènes intimes soient aussi gauches que celles de baston.

Justement, comment chorégraphier ces scènes de bagarre qui ne doivent surtout pas avoir l’air de l’être ?
SC
: Manu Lanzi, notre régleur cascades, m’a demandé ce que j'aimais comme scènes de baston au cinéma. Et j'ai répondu : « Aucune. » (Rires.) La seule qui me venait en tête - et d'ailleurs la scène de la fosse septique en est un lointain hommage - c'est celle d’Invasion Los Angeles de John Carpenter, la bagarre mémorable où il se castagnent dans la rue pour des lunettes de soleil. Avec Manuel Dacosse, le chef opérateur, l'enjeu était qu’on ne soit surtout pas dans un geste fun. La façon de filmer la violence dans la virtuosité a presque été codifiée par le cinéma hongkongais ou celui de Tarantino - que j’aime beaucoup par ailleurs. Moi, je voulais m’éloigner de tout ça. Pour qui a déjà vu des gens se battre dans un bar, voire a participé à des bastons volontairement, c'est tout sauf ça ! Ce n'est pas beau, c'est sale. Ça se griffe, ça se mord, ça se déchire les vêtements... Comme on a affaire à des corps qui ne sont pas faits pour se battre, il y a une chorégraphie qui implique de la gaucherie, de la maladresse et quelque chose de l'ordre d'une sauvagerie.

KL : La violence, dans la vraie vie, ça peut à la fois être pathétique, drôle, terrible ou choquant. Parfois, c’est très graphique et parfois un geste minimaliste, comme une claque, peut être traumatisant. Tout ça demandait beaucoup de discussions et une grande implication sur le plateau. Notamment dans la fameuse scène de la fosse septique, où la détermination l’acteur avec qui je me bats, Guillaume Bursztyn, était ahurissante. Si on me demandait de la refaire aujourd’hui, jamais je n’accepterais ! Physiquement, c’était épuisant. 

Ça a été aussi dur à filmer  ?
SC
: C'était de très longues prises, sur une journée. On l'a faite deux fois. À un moment donné, ils avaient bien épuisé le truc, il y en avait un qui bougeait plus trop… (Rires.) C'était une vraie bascule pour nous au tournage, ça nous a dépassés.


Les décors participent beaucoup à faire perdre ses repères géographiques au spectateur : on ne sait jamais trop où on est entre le bord de mer, la campagne profonde…
Au montage, on a inventé une France qui n'existe pas. Ça fait Michel Sardou dit comme ça, mais il y a de ça puisqu'on filme une campagne à partir de plein d'endroits différents des Pays de la Loire. Avec des paysages qui changent de ce qu'on voit d’habitude, qui font le portrait d'une certaine France, un peu désolée, un peu isolée, aussi. Et au milieu, des corps qui ne savent plus comment communiquer, ne peuvent que se taper dessus. Ça donne au film un côté universel. On l'a beaucoup montré et que ce soit en Serbie ou au Canada, il est reçu à peu près de la même façon.

Étant de Nantes, impossible de ne pas vous interroger sur le choix de mettre en avant le Super U de Saint-Michel-Chef-Chef, commune de Loire-Atlantique au nom absolument génial.
Je ne connaissais pas le nom de Saint-Michel-Chef-Chef et j’en suis tombé amoureux ! En plus le patron du Super U est un mec adorable et c’est très vite devenu le supermarché idéal pour la scène. Quand j’ai vu qu'il y avait marqué Saint-Michel-Chef-Chef sur la façade, ce n'était pas possible que ça n'apparaisse pas dans le film (Rires.)

Remerciements au cinéma Le Katorza de Nantes.

Vincent doit mourir, de Stéphan Castang, avec Karim Leklou, Vimala Pons… Actuellement cinéma.