GALERIE
Rezo Films

La réalisatrice brésilienne dénonce la pénalisation de l’avortement dans son pays, à travers un premier long queer et coloré à la sororité reine, primé à la Semaine de la Critique cannoise.

Comment naît Levante qui met en scène le parcours de la combattante d’une jeune volleyeuse brésilienne de 17 pour se faire avorter dans un pays où l’IVG est illégale ?

Lillah Halla : Il est vraiment le fruit d’énormément de choses et n’a pas de point de départ unique. Je citerai pour commencer l’école EICTV de Cuba où j’ai appris le cinéma mais aussi l’art du travail en équipe. C’est ainsi que j’ai eu l’envie de développer un projet porté par un collectif, un collectif queer où, des techniciens aux comédiens, tout le monde aurait son mot à dire et en s’emparant du monde qui nous entoure pour en dénoncer les abus. Ma première réalisation fut un court, Manarca (sélectionné à la Semaine de la Critique cannoise en 2020), l’histoire de deux adolescentes confrontées… à une femme piranha – la représentation culturelle au Brésil du féminin monstrueux – que j’ai imaginé comme une relecture et une déconstruction de mythes et fantasmes masculins. Levante est, lui, beaucoup plus réaliste mais parce qu’entre temps Bolsonaro était arrivé au pouvoir au Brésil et n’a fait qu’aggraver grandement des situations préexistantes déjà critiques, dont la pénalisation de l’avortement. Pour vivre proche de la frontière avec l’Uruguay, j’étais à la fois témoin des femmes brésiliennes qui prenaient des risques pour leur santé voire pour leurs vies en passant par des avortements clandestins ou qui allaient se faire avorter en Uruguay. L’envie de m’emparer de ce thème existait avant l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir mais cette actualité a impacté le scénario que nous avons écrit avec Maria Elena Moran.

Le temps long du cinéma fait que, dès qu’un film s’empare d’un sujet d’actualité, il est souvent en retard quand il sort sur les écrans. Ce n’est pas le cas avec le vôtre…

Je pourrais dire hélas car ça souligne que malgré le départ de Bolsonaro et le retour de Lula, rien n’a évolué de ce point de vue- là. Mais j’aime l’idée que Levante peut éveiller certaines consciences et aider à changer les choses. Je suis intimement persuadée que nous, cinéastes, avons une influence sur les rêves des gens ! Je me suis en tout cas lancée dans ce projet de manière viscérale. Entre Bolsonaro et le COVID, j’avais le sentiment que le Brésil était devenu le pire endroit de cette planète. J’ai donc eu besoin d’exorciser tout ça dans un film qui serait traversé de moments de comédies et surtout très coloré. Mais tout cela s’est surtout dessiné au fur et à mesure que s’est constitué mon casting. Il épouse la personnalité haute en couleurs de celles et ceux que filme. Cette énergie explosive, ce goût du chaos que je partage. Je dis toujours qu’elles et ils m’ont choisi autant que je les ai choisis !

Vous parliez de l’atmosphère coloré de votre film. Avez- vous discuté de références avec votre directrice de la photo, Wilssa Esser ?

Je suis une grande cinéphile mais on n’a pas du tout discuté de films. Levante est d’abord et avant tout né de mon observation du monde qui m’entoure et de nombreuses recherches. Ma source d’inspiration a été la réalité, pas la fiction.

Comment le film a-t-il été accueilli au Brésil ?

La sélection à la Semaine de la Critique cannoise, l’accueil qu’on y a reçu et le prix qu’on y a emporté m’a donné une légitimité comme cinéaste. Je serai éternellement reconnaissante à Ava Cahen et son équipe de nous avoir permis de vivre ça en équipe. Mais, malgré tout, j’étais stressée avant de présenter Levante au Brésil car le sujet est sensible et, comme depuis le départ, j’ai aussi une responsabilité par rapport à toute mon équipe, afin que personne ne soit menacé ou victime de représailles. La première brésilienne, dans un festival, a eu lieu un… vendredi 13 ! (rires) J’y ai vu un signe positif et j’ai eu raison. L’accueil a été incroyable et a donné lieu le lendemain devant le cinéma à une manifestation pour demander la légalisation de l’avortement. Mais la salle était remplie de militantes acquises à la cause. La deuxième projection, elle, dans une salle de 800 places, avait un public plus mélangé. Alors, j’ai voulu tenter une expérience à la fin de la projection. J’ai demandé à ce qu’on laisse la salle dans le noir, pour n’exposer personne, au regard de tous. Puis à ce que les jeunes femmes qui avaient connu ce que mon héroïne traverse ou qui connaissent quelqu’un de leur entourage à qui c’est arrivé brandissent leurs portables avec la lumière allumée. Et là, toutes les mains se sont levées ! Observer cela depuis la scène a été un choc. Mais m’a aussi apporté la preuve vivante de la nécessité d’un tel film. Comme si sa puissance nous avait au fond tous dépassés.

LEVANTE
De Lillah Halla. Avec Ayomi Domenica, Loro Bardot, Grace Passô… Durée : 1h32. Sortie le 6 décembre 2023