Lors d'une conférence de presse, Emma Stone a développé son point de vue sur la question.
La nouvelle expérimentation cinématographique de Yórgos Lánthimos, a fait son entrée dans les salles. Le cinéaste grec installé en Grande-Bretagne dévoile une adaptation du roman écossais écrit par Alasdair Gray en 1992, pastiche de l'oeuvre gothique de Mary Shelley. Pauvres Créatures met en scène Willem Dafoe, Mark Ruffalo et Emma Stone dans une version inventive du roman Frankenstein ou le Prométhée. Au centre du projet, une créature femme : Bella Baxter. Ce changement de sexe semble vouloir tendre à une version féministe du mythe audiovisuelle - où La fiancée de Frankenstein se déferait de sa robe de mariée pour tenir le premier rôle. À l'image de l'œuvre originale, la créature sillonne différentes contrées, non pas dans l’optique de poursuivre son créateur, qu’elle fuit, mais pour s’ouvrir au monde dont elle ignore tous les secrets. Néanmoins, les arguments et contre-arguments fusent de tous côtés, quant à la qualification féministe ou totalement misogyne du long-métrage. Explorons les différentes étapes de l’ascension de Bella Baxter, dans une période où l'homme corsète la femme.
Les premiers jours de Bella Baxter peuvent faire jaser. Au cœur d’un projet scientifique, un cerveau de nouveau-né est placé dans la boîte crânienne de la jeune femme. Ses comportements d’enfant n’ont rien de compromettant et amusent la galerie, tant les grimaces d’Emma Stone sont réalistes. Cependant, ce qui déroute c’est l’exposition prématurée de cet enfant au mariage. En effet, dans un projet patriarcal, Bella fait office de marchandise dans un accord collaboratif entre Dr Godwin et son assistant Max McCandless (Ramy Youssef). Ce mariage permettrait à Max de garder un œil sur l’évolution de l’expérimentation, tout en revendiquant une appartenance. La dimension pédophile et patriarcale s’invoque dans cette proposition de vie, de laquelle s’échappe Bella Baxter, au bras de Duncan Wedderburn, un avocat peu fréquentable. Emma Stone s’est par ailleurs, penchée sur la relation entre Bella et Dr Baxter qui s’évertue à considérer la jeune femme comme une expérimentation scientifique :
"C’est une relation compliquée. Quand j’ai lu le script, j’ai vu Baxter comme une partie clinique et froide de la vie de Bella. Je pense qu’il devient un père aimant, ce qui est surprenant pour lui puisqu’il ne sait pas faire. Il essaye de rester froid et écarté malgré tout, en se rappelant que Bella est une créature et non un être humain. Il se rend compte qu’il ne peut pas la garder et qu’elle a quelque chose d’humain en elle. Cela est évident à la fin quand il lui dit "Mon œuvre est tienne". Elle n’est pas son œuvre, elle appartient à elle-même. Je pense que leur relation est magnifique même si elle peut paraître folle", a déclaré Emma Stone lors d'une conférence de presse.
Malgré la grande différence entre Duncan et Max, ces antithèses masculines tombent sous le charme de la spontanéité de Bella Baxter. Cette dernière s’éveille sexuellement auprès de Duncan, un Don Juan assumé. Les scènes sont explicites et Emma Stone se livre à corps ouvert à la caméra de Yórgos Lánthimos, dans des positions des plus suggestives, dans une nudité décomplexée :
"Je me sens tellement stupide. En fait, je me sentais très à l’aise avec les acteurs et Yorgos donc je ne sentais pas la nécessité d’être accompagnée. Mais, Yorgos tenait à ce qu'il y ait une coordinatrice d’intimité. Elle était formidable, je l’ai rencontré et je me suis dit "Comment ai-je pu pensé ne pas avoir besoin d’elle ?". Je ne m’y connaissais pas assez sur le sujet. J’ai une telle reconnaissance envers ces gens. Ils aident à nous mettre à l’aise mais aussi à chorégraphier les scènes. L’environnement est tellement mieux avec eux. Elle était formidable et je comprends mieux pourquoi ces gens sont indispensables dans le métier."
Bella expérimente et revendique son addiction pour l'activité charnelle, qu’on pourrait placer sur le même plan que l'engloutissement des pasteis de nata, dont elle raffole. Qu’est ce qu’il y a de plus féministe qu’une femme qui jouit librement des plaisirs de la vie ? Même s’il ne la veut que pour elle, Duncan Wedderburn ne parvient pas à garder Bella, qui s’extirpe de ses griffes éprises. Bella dit "non" aux tutelles.
"Ce qui m’inspire le plus chez Bella c’est son appétit gargantuesque pour la vie. Elle vit dans un univers où tout est fascinant parce qu’elle est amoureuse à l’idée d’être en vie. J’espère vivre de cette manière plus souvent. Les bonnes et mauvaises expériences de la vie nous façonnent et Bella ne juge pas ces deux expériences contraires, elle avance", a souligné Emma Stone.
Ce qui souligne étrangement la liberté de Bella, c'est son consentement à la prostitution. Lors de son escale parisienne, Bella s’enthousiasme de cette opportunité qui allie bénéfices financiers et plaisirs de la chair. Elle s’ouvre volontiers à cette exploration des corps et des esprits, bien que certaines expériences ne lui conviennent que trop peu. Au sein du bordel, Bella entretient en parallèle une relation homosexuelle avec une de ses collègues. Cette relation souligne une fois de plus, l'ouverture d'esprit qui rythme sa vie. Cet enchaînement d'expériences développe considérablement la fibre philanthrope de la jeune créature.
En outre, la fin illustre une revanche féministe sans pareille. Le passé de Bella remonte à la surface. Son ancien mari (celui avant l'expérimentation Baxter) revendique son droit de propriété envers sa femme - ce qui est l’essence même d’une incompatibilité avec Bella Baxter, ne serait-ce que pour les évènements mentionnés précédemment. Cet élan d'autorité victorienne entre en collision avec la psychologie de Bella, qui fait ce qui lui plaît et rien d'autres. Ce phénomène se traduit dans les costumes du personnage principale. Ses vêtements sont volumineux : des tutus, des froufrous, des pièces qui ne compriment pas la cage thoracique de la jeune femme. Elle rompt avec les traditions par son vêtement.
La dernière scène du film met en lumière un chemin d’émancipation, à travers des choix, mais aussi à travers la liberté sexuelle de Bella Baxter et de son interprète Emma Stone. Les pauvres créatures sont finalement les personnages masculins qui gravitent sans satisfaction autour de Bella Baxter. La comédienne a elle-même ponctué le caractère amplement féministe du film, surtout pour son l’épilogue :
INTERVIEWER : "Pensez-vous le film comme féministe ? Bella s’émancipe des hommes qui l’entourent qui essayent de l’emprisonner d’une certaine manière, pour moi la fin est une vengeance du patriarcat envers son mari abusif."
EMMA STONE : "Qu’en pensez-vous ?"
ITW : "Oui, pour moi le film l'est !"
ES : "Pour moi aussi !"
ITW : "Pour quelles raisons ?"
ES : "Pour toutes les raisons que vous avez données."
Emma Stone a remporté un Golden Globe et le Critics Choice Award pour sa performance dans la comédie.
Pauvres Créatures est diffusée dans les salles de cinéma. Voici un échantillon de l'expérience :
Pauvres créatures : le roman gothique à l’origine du film [critique]
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