Avec près de 250 000 entrées pour son premier jour (avant-premières incluses), God Save the Tuche démarre plus fort que Les Tuche 4. La famille de Bouzolles, désormais sous la direction de Jean-Paul Rouve lui-même, tente un retour aux sources entre absurde et comédie populaire.
La saga des Tuche, phénomène de la comédie française qui a fait de "Tuche, avec un T comme t'es là" une expression nationale (en tout cas dans les cours de récré), renaît avec God Save the Tuche. On dit "renaît", parce qu'un peu comme la saga Fast, celle des Tuche a connu un parcours en montagnes russes. Si les affiches proclament haut et fort que les Tuche ont rassemblé 14 millions de spectateurs, il faut toujours se méfier des chiffres. La série est en fait passée de 1,5 million d'entrées pour le premier film à un triomphal Tuche 3 avec 5,6 millions de spectateurs.
Une ascension irrésistible, mais que Les Tuche 4 aura temporairement (?) interrompu. Le coup d'arrêt fut en effet aussi brutal qu'une panne de friterie : 2,4 millions d'entrées à peine. Le démarrage prometteur de ce cinquième opus, avec près de 250 000 entrées dès son premier jour (avant-premières incluses), laisse entrevoir un possible retour en grâce. Ce quatrième volet avait, de fait, tout du plat réchauffé (et sans ketchup) : scénario paresseux, démagogie facile et cynisme navrant, situations forcées comme une patate dans un extracteur de jus (OK, on va se calmer sur les métaphores tuberculeuses). L'écriture, privée de la folie des premiers opus, s'enlisait dans une routine sans relief. Un épisode si fade qu'il a probablement déjà disparu de la mémoire collective.
![Tuche 4](/sites/default/files/styles/scale_crop_border_white_1280x720/public/2021-12/Tuche%204%203.jpg)
Mais voilà donc les Tuche 5. Qui doit réhabiliter notre famille de Bouzolles. Le timing de sa sortie est intéressant : il coïncide avec une réhabilitation inattendue (voire une récupération) du "beauf" dans la culture populaire. Des festivals comme le BeauFFestival à Poitiers ou le Slipfest à Saint-Herblain attirent des milliers de participants venus célébrer la culture "franchouille", alors que le "poor porn" s'invite sur les réseaux et que les codes autrefois moqués - du marcel aux claquettes-chaussettes - deviennent des marqueurs de style assumés.
Parallèlement, les essais de sociologues ou de philosophes, rappellent que cette figure du "beauf" est aussi une histoire de domination culturelle. On interroge les formes et les fonctions de ce mépris pour pousser les gens à se libérer. Dans ce contexte, l'offensive médiatique des Tuche 5 témoignait ces derniers jours des enjeux colossaux de ce nouvel épisode. Les Tuche sont partout et doivent triompher en salle.
Cette ambition s'est surtout doublée d'une vraie rupture stratégique et « artistique » (notez les guillemets). Pour ce nouveau film, la mise en scène a été confiée à Jean-Paul Rouve. Exit Olivier Baroux donc. De fait, qui mieux que Jeff Tuche lui-même pour réinventer la franchise ? Car God Save the Tuche apparaît comme une véritable tentative de renaissance. Rouve a choisi de réinjecter dans la saga une dose d'absurde qui avait fini par se diluer… Ca rappelle évidemment l'esprit Robin des Bois puisqu'on retrouve la régression joyeuse, l'amour du non-sens et du gag potache qui firent le succès de leurs apparitions dans Nulle part ailleurs ou sur Comedie ! et qui manquait clairement aux derniers épisodes.
![God Save The Tuche](/sites/default/files/styles/scale_crop_border_white_1280x720/public/2025-01/God%20Save%20the%20Tuche%20Marine%20Danaux.jpg)
L'escapade britannique permet également d'explorer tout un pan de la comédie qui a toujours fasciné Rouve. Des Monty Python à Rowan Atkinson en passant par l'esprit Canal des grandes années tout est là. La construction du film par saynètes rappelle aussi l'esprit Fluide Glacial (on pense plus d'une fois à Edika ou Margerin - surtout pour le Tuche Daddy de Lottin), que Rouve a longtemps biberonné. Au fond, ce cocktail qui fait la part belle à l'imaginaire et à la fantaisie est censé permettre aux Tuche de retrouver leur vrai terrain de jeu : celui d'une comédie libérée du réel.
Bon... ce mélange des genres ne convainc pas toujours. Si certaines séquences retrouvent la folie des débuts (il faut voir les zinzineries de Lottin au sommet de sa folie, ou Jeff se prendre le pare-brise d'une voiturette), d'autres peinent un peu à décoller. En voulant mixer l'ADN Tuche avec ses influences personnelles, Rouve crée parfois un hybride risqué. Mais le réalisateur a aussi voulu explorer le passé des personnages, ajoutant une touche de nostalgie qui humanise la famille, et réajuste leur délirante démesure.
Cette approche délibérément régressive et ce retour à un humour plus innocent arrivent surtout au bon moment. Dans une époque où la frontière entre le "beauf" et le branché n'a jamais été aussi floue (Balenciaga sort bien des Crocs à talons pendant que Rouve/Jeff Tuche concurrence Vinted), cette famille est finalement des précurseurs dont il fallait redorer le blason, à qui il fallait redonner une forme de légèreté et d'innocence qu'ils avaient perdu au fil des épisodes.
God Save the Tuche réussira-t-il à régénérer une franchise endormie ? En renouant avec la folie des débuts tout en tentant d'y insuffler une sensibilité nouvelle, le film marque indéniablement un tournant dans la saga. Reste à savoir si ce virage artistique saura convaincre le public. Si le démarrage prometteur laisse entrevoir un possible succès (les vacances sont là!), c'est sur la durée que se jugera la réussite de cette renaissance. "Tuche or not Tuche, that is ze question !"
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