Artus dans La Pampa
Tandem

Le héros d’Oussekine confirme après Leurs Enfants après eux son irrésistible montée en puissance avec La Pampa. Rencontre avec un acteur qui a su aller au bout de ses rêves.

Vous qui aviez envie de devenir footballeur, qu’est ce qui vous fait bifurquer vers le cinéma ?

Sayyid El Alami : J’étais en effet à un milliard d’années de cet univers. Et ce fut un enchaînement d’énormément de choses, même si tout part sans doute des films que je regarde avec ma mère à la télé, notamment ceux de De Funès. Mais un élément a été particulièrement déterminant. J’allais régulièrement sur Youtube voir des extraits de matchs de foot et, un jour, je suis tombé sur deux making-of qui m’ont scotché. Celui de H où je vois des gens rire et où je me dis que c’est ce que j’ai envie de faire. Et sur celui d’Harry Potter qui me fascine par son gigantisme. Je commence alors à m’intéresser à ce monde- là, je comprends qu’en plus d’être un divertissement, c’est un moyen de m’instruire, de m’ouvrir au monde. Donc à 13 ans, c’est une évidence, c’est ce que je veux faire de ma vie.

Comment vous y employez-vous alors ?

Je vais sur des sites de casting, parfois payants, j’envoie des candidatures dont j’attends toujours les réponses ! (rires) Je ne pouvais de toute façon pas me faire arnaquer car on n’avait pas d’argent. Et puis, à 13 ans, je monte voir une de mes sœurs qui vit alors à Paris pour me faire une idée de cette ville où je savais que je devrais m’installer. Car déjà, dans ma tête, je n'avais plus peur ni de prendre des coups, ni d'échouer. Je voyais juste l'arrivée. Je me suis donc renseigné sur comment récupérer un logement étudiant. Et une fois le Bac en poche, je m’installe à Paris et je m’inscris à la fac pour le plaisir d'étudier. J’ai d’abord tenté théâtre et cinéma mais je me suis barré parce que la théorie m'intéressait moins à ce moment-là aujourd'hui. Puis je me suis inscrit en langues car je savais que quoi je fasse, ça me servirait. Je suis allé jusqu’en licence, mais je ne l'ai même pas validé. Le but c'était vraiment d'y aller pour apprendre.

Comment vous retrouvez-vous à l’association Mille visages, créée par Houda Benyamina, qui va se révéler essentielle dans votre parcours ?

Grâce à un spot que je tourne avec le comédien Matar Cissé qui en fait partie. Divines venait tout juste de sortir. On est fin 2016. Je vais y faire un tour et ça fait un bien fou de voir des gens qui gagnent des Césars et me ressemblent. Même si je ne vais y rester que six mois. Et puis arrive le temps du premier callback dans les auditions que je passe. C'était pour le film Les Bienheureux en 2017. On me trouve finalement trop jeune pour le rôle mais échouer en finale est déjà une victoire immense ! Plus largement, même quand on me répondait négativement, j’étais heureux car au moins j’existais !

Et quelle sera l’étape suivante ?

Une autre rencontre décisive après un callback où on m’explique que le souci vient de mon accent du sud. Car je vais devenir proche de celui qui me dit ça, qui me rassure et va me donner confiance en m’assurant qu’il ne se fait aucun souci pour moi car je suis très lucide. Il me dit qu’il sait que je vais y arriver. Il s’appelle Julien Collet. Il est acteur, scénariste, metteur en scène et coache parfois Isabelle Ajdani. Et il va me donner de son temps. A ce moment- là de mon parcours, ça n’a pas de prix. Il m'aide aussi à trouver un premier agent. On va souvent me dire ça d’ailleurs. Et comme je ne décroche rien, ça va finir par me saouler. Moi, je m’inquiétais pour moi.


 

Quand est-ce qu’arrive enfin votre premier long ?

En 2018 avec Monsieur-je-sais-tout. Je suis en observation. Heureux d'en être même si je n'ai pas de texte. Je dois juste jouer au foot, clin d’œil du destin ! Je rencontre Bruni Makaya avec qui je suis toujours pote. J’étudie tout ce qui se passe. Et au même moment, moi qui ai toujours bossé mon anglais, je commence à « harceler » les directeurs de casting anglo-saxons. On se motive l’un l’autre avec Samir Deccazza que j’ai aussi connu à Mille visages. Ma deuxième grande rencontre. Car il va me donner toute l’expérience qu’il a acquise en m’assurant que j’en ferai meilleur usage que lui. C’est d’une générosité inouïe. Il a Elizabeth Tanner pour agent, accès donc à plus de castings que moi et va me donner toutes ses infos. C'est le début des productions originales de Netflix. Et Samir me file le tuyau pour la série Messiah et le mail de la directrice de casting. Le processus va être très long. On commence par me dire non mais je décroche alors le rôle masculin central d’une autre série, The Little Drummer Girl de Park Chan wook avec Florence Pugh. Et puis finalement cette proposition tombe à l’eau… le jour où on finit par me dire oui à Messiah ! Ils me demandent une exclusivité totale. Je dois même renoncer aux deux courts métrages que je devais faire. Et là, je découvre la patience que ce métier demande.


 

Pour quelle raison ?

Parce qu’après la saison 1, je me prépare à déménager à Los Angeles. A passer de ma cité U à la recherche d’un appart à LA car on m’annonce que je suis le rôle principal de la deuxième et de la troisième saison. J’ai rendez vous avec Michael Petroni, le réalisateur de la série, sur Sunset Boulevard. Je me dis que tout est donc possible, que mon envie m’a permis d’être là où je n’aurais jamais dû être. Puis le COVID arrive… et la suite de Messiah va être annulée dans la foulée !

Retour à la case zéro donc…

Oui et comme je jouais en arabe, je vois bien que ça n’a pas imprimé réellement en France. Certains que je croise me recommandent même de regarder la série sans avoir compris que je jouais dedans ! Ca signifie donc que je peux disparaître derrière un personnage. Ce qui est un grand atout mais à ce moment-là, je le vis comme une faiblesse.

Comment allez-vous enchaîner ?

Par un premier rôle dans la série Une si longue nuit sur TF1. Et puis va arriver la rencontre avec Antoine Chevrollier pour la série Oussekine. Par casting. Le rendez-vous a lieu au Studio Bleu à Strasbourg Saint-Denis. Un endroit où j'ai passé un des premiers casting de ma vie à 16 ans. Antoine est très froid au départ. Et puis on commence à discuter et il m’impressionne. On parle de rap, de bavures policières, de la d'où je viens, de ce que j'ai envie de faire. On fait des scènes avec sa directrice de casting Gigi Akoka. Et puis je décroche le rôle. Il m’explique que la famille de Malik m'a aussi validé. Sa confiance et sa bienveillance vont me porter. A ce moment-là, je suis aussi en finale pour une autre série, Gangs of London mais on me demande une fois encore une exclusivité qui m’empêcherait de faire Oussekine. Et là c’est moi qui dis non. Pour la portée de la série et parce que je ne peux pas faire ça à la famille qui m’a validé. Il y a eu une évidence dans notre relation avec Antoine. On avait le même rythme, les mêmes envies, la même destination mais sans le savoir !


 

Et pourtant il ne vous parle pas de La Pampa qu’il s’apprête à réaliser…

Après Oussekine, je ne vais pas tourner pendant deux ans. Je commence même à me dire que je vais quitter Paris. Je me heurte encore à la violence de ce métier. Quinze callbacks. Quinze échecs.  Je veux aller à la découverte du monde plutôt que de moisir. J’essaie quand même de me renseigner pour savoir ce qui ne colle pas chez moi. Et puis le jour où j’arrive dans la dernière ligne droite d’un casting d’une autre série américaine, Antoine m’appelle pour passer les essais pour La Pampa en me disant : « viens à cette audition… car je veux être sûr que ce n’est pas toi ! » (rires) Et il se trouve que je vais décrocher ce casting et celui de Leurs enfants après eux au même moment ! Et ce alors que les Américains veulent me voir aux Etats-Unis pour l’ultime callback et me demandent d’être disponible six mois. Mais les séries, j'en ai fait, ça n'a pas vraiment changé ma vie. Je décide donc sans hésiter de privilégier les longs métrages. Tout s’est joué pour moi entre le 7 et le 15 mars 2023.

Qu’est ce qui vous avait séduit dans Leurs enfants après eux ?

C’est Antoine et Kevin Besson, directeur de la fiction chez Disney qui m’avaient conseillé de le lire quand il est sorti. Je m’y suis plongé six mois plus tard à force d’avoir discuté avec eux de plein de sujets politiques, de déterminisme social. Il faut savoir que mon cadeau de fin de tournage de la part d'Antoine fut Le Déterminisme de Bourdieu ! J’ai un peu de mal avec l’exposition du récit mais une fois l’histoire posée, je le dévore car elle raconte l'époque de mes grands frères. J’écris même mon admiration à Nicolas Mathieu sur Instagram. A travers ce roman, je me rends compte aussi de ce qui signifie profondément s'extirper de sa condition. Les trois derniers mots du livre restent gravés en moi : « l'effroyable douceur d'appartenir ». Car, moi, j'ai quitté tout ce à quoi je pouvais appartenir à Toulouse : mes amis, ma classe sociale, mes parents. Et Leurs enfants après eux a mis des mots sur ce que j'avais capté : je n'appartenais à rien, à part à moi-même.

Quels sont vos projets dans les prochains mois ?

Je vais tourner dans le deuxième long métrage d’Artus avec qui je me suis lié d’amitié sur La Pampa. J’ai été aussi choisi sur plusieurs autres projets. Mais je ne sais pas encore si je vais les faire, ni lesquels sont financés. La dynamique a changé pour moi, même si ça reste précaire Mais quand je me retourne sur ces années, depuis mon arrivée à Paris plein de rêves, ça m’émeut car je suis la preuve que tout est possible si on se donne les moyens. Sans jamais oublier que tout peut s’arrêter demain !

La Pampa. D’Antoine Chevrollier. Avec Sayyid El Alami, Amaury Foucher, Damien Bonnard... Durée 1h43. Sorti le 5 février 2025